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Echange épistolaire autour de la pratique tantrique

Ou "Lorsque l'exception confirme la règle...."


M., jeune papa d'une trentaine d'années, est venu me voir pour découvrir le tantra et avec le désir de travailler sur sa masculinité, son identité d'homme. Je lui ai donc prodigué mon massage de 2h sur futon, en prenant soin de commencer par une longue méditation-visualisation des sept chakras. Le ressenti a été très fort pour lui pendant le massage, le tambour chamanique en fond sonore le faisant parvenir à une sorte de transe, il a été pris de spasmes évocateurs d'une montée de kundalini mais il n'a pu s'empêcher de se focaliser sur l'aspect sexuel ou sensuel de la stimulation. Toute l'énergie éveillée par le soin s'est donc concentrée au niveau des organes génitaux, y est restée bloquée, et son excitation exacerbée a eu du mal à retomber en fin de massage. Après que j'ai fini le soin par le massage des épaules, de la nuque, du visage pour calmer le Shen que je voyais ébranlé, il est resté allongé un long moment sur le futon. Je l'ai laissé se reposer un moment, j'ai massé certains points d'acupuncture pour le réancrer, j'ai fait une tisane, mais au bout de vingt minutes il ne se sentait toujours pas prêt à se lever. Il était pris de frissons et respirait de manière rapide et saccadée, je lui ai donné à boire, et comme cet état inconfortable durait, j'ai piqué le 2 foie pour faire redescendre le yang du Foie.

Il m'a dit que plus tard dans la journée, il lui suffisait de se remémorer le massage et il se sentait de nouveau dans cet état étrange, flottant...

Je retranscris ici avec son accord notre échange écrit après le second massage tantrique que nous avons pratiqué, où je lui ai enseigné la respiration de l'orbite macrocosmique, et où, voyant que l'excitation était de nouveau forte, et qu'il ne parvenait pas encore suffisamment à pratiquer l'aspiration du qi par le périnée, je l'ai laissé vivre cette "crise de vent" tant attendue, dans l'espoir qu'il puisse de cette manière passer plus rapidement à l'étape supérieure... Ce qui fut un pari payant comme en témoigne notre dialogue:


"Bonjour Lucie,


tout d'abord merci pour le livre, les liens vidéos et le massage d'hier.

Voici mon retour sur celui-ci:

Il s'est passé différentes choses pour moi dans ce massage. La première, elle a commencé avec la méditation, c'était agréable de sentir cette énergie circuler et de voir le désir s'éveiller. J'ai eu envie sur le moment sur le moment de te prendre les mains pour faire circuler l'énergie par les mains...

Ensuite le massage, en lui même toujours aussi fort...il s'est trouvé régulé grâce à l'application de la respiration. J'ai vu que cela m'aidait car j'arrivais (au début) à ne pas sexualiser la chose mais à rester focalisé sur la respiration...Cela a été plus compliqué par la suite, car le désir s'est intensifié, j'ai sexualisé la chose et me suis laissé submerger par mon propre désir.

Cela m'a fait prendre conscience de certains masques:

- que même si je le fais dans le but de développer une sexualité harmonieuse, et m'identifier comme un nouvel homme, une part de moi a aimé être massé par toi, j'y ai pris du plaisir. Malgré l'éjaculation j'ai aimé alors que la situation était inconfortable. Une partie de moi a ressenti du dégout pour moi et une profonde gêne vis à vis de toi qui acceptais de m'aider. Je me suis senti petit car j'avais brisé une forme de confiance au prix de mon plaisir personnel. Cela m'a fait aussi penser que même si je venais dans un intérêt "d'épanouissement personnel, et de détachement et de bienveillance", une partie de moi aime "trop" l'aspect sexuel.

J'ai donc beaucoup de chemin à faire pour mieux vivre avec mon désir et ne pas le projeter sur toi. Je dois donc l'accepter pleinement avec ce que cela représente.


Voilà, je voulais donc te présenter des excuses (plus facile par écrit) pour le manque de respect. Voilà je tenais à m'exprimer sincèrement.

Merci,

j'espère pouvoir continuer ce travail avec toi."




"M,

merci pour ce message qui me réconforte, et me donne espoir. Pas parce que tu m'as présenté des excuses, je n'en avais nul besoin, mais parce que ton message et l'ébauche de prise de conscience dont il témoigne, me donne l'occasion de mettre en mots ce qui m'occupe l'esprit depuis quelques jours.

Notre pratique occidentale du tantra est biaisée, car nous jouons avec l'énergie sexuelle tout en nous défendant d'y toucher : ce qui crée cette ambiguité, et cette hypocrisie assez courante qui consiste à pratiquer des massages érotiques ou sensuels sous couvert de tantra.

J'aimerai expliciter ma démarche, la manière dont j'aborde ce paradoxe, et ce qui me fait choisir de pratiquer ce massage malgré les écueils qui le guettent sans cesse, et la manière dont je cherche à les déjouer.


J'étais un peu contrariée en fin de journée, le jour où tu es venu, car j'avais pratiqué deux massages tantriques les jours précédents, et les deux fois, il y avait eu éjaculation non maîtrisée, alors que cela n'arrive pas habituellement. Je ne peux pas m'empêcher de ressentir une déception, et d'avoir le sentiment d'un échec lorsqu'elle survient de manière non choisie.

Lorsque c'est la première fois, je n'y vois pas un manque de respect, il est tout à fait humain et normal d'avoir envie de ressentir du plaisir, et de rechercher l'orgasme lorsqu'il est proche ; ce jour-là, voyant que l'aspiration était de nouveau très forte, j'ai choisi de te laisser aller au bout de cette expérience pour ne pas faire durer la frustration et te permettre de dépasser cette attente qui finit par devenir obsessionnelle, fantasmatique, et polluer les autres dimensions de ce soin.

En revanche, tu comprends bien que si cela devient systématique, si l'homme que je masse au fond « n'attend que ça », alors que pour ma part, je ne ressens pas cela comme juste à cet instant T, je ne peux que me sentir « utilisée ». Au lieu d'être celle qui prodigue un soin, je deviens un « outil de plaisir », je suis réduite à pratiquer une masturbation à visée libératrice, défoulatoire, chose que tu peux parfaitement accomplir toi-même, avec plus de dextérité, d'habileté et d'autonomie.

Mon soin qui consiste à honorer le corps d'un être humain comme un temple divin devient une prestation sexuelle déguisée, ce que je veux précisément éviter. Je n'ai pas fait dix ans d'études en énergétique chinoise pour faire de la masturbation en cabinet et être la cible de fantasmes de la part d'hommes inconnus; cela m'ennuierait profondément. Il y a tellement plus à explorer...

J'ai beaucoup de respect pour les travailleuses du sexe mais je n'ai pas choisi d'en être une. J'ai choisi ce métier de thérapeute parce qu'il me passionne et parce que j'ai le sentiment d'avoir quelque chose à apporter dans ce domaine, de par mon vécu, ma formation, mon ouverture d'esprit, mes expériences.


En un sens, amener un homme ou une femme à l'orgasme par le massage et la masturbation, c'est trop « facile » et c'est en cela que c'est décevant.

De plus, dès lors que la personne massée a pris un plaisir sexuel lié à un massage masturbatoire, la rémunération apparente ma pratique à de la prostitution, et cette convention sociale entache ma prestation, la voile d'opprobre. En revanche si l'énergie sexuelle est éveillée, maîtrisée et utilisée à des fins de régéneration de l'organisme induite par la circulation et la respiration consciente, le désir n'est plus une pulsion irrépressible qu'il faut à tout prix assouvir, ni un sujet de honte qui nous entrave, il est seulement une pulsion de vie, détachée à cet instant précis de ce qui la provoque, célébrée en conscience. Ainsi les tantrikas célébraient le linga (ou lingam, on trouve les deux graphies), symbole phallique de fécondité, d'énergie Yang, céleste. Le phallus qui s'érige témoigne juste de la bonne vitalité du Qi du Foie et de la bonne circulation de cette énergie, tout comme les sécrétions intimes d'une femme lors d'un massage de la yoni (vulve et vagin). Je ne reçois pas cette érection comme la preuve d'un désir qui me serait adressé, puisque cela n'a pas lieu d'être. Je ne suis pas là pour satisfaire un désir mais pour accompagner un mouvement. Et si celui-ci va jusqu'à l'orgasme, tant mieux, mais ce n'est pas ma fonction ou ma responsabilité (car je ne cherche pas à le provoquer).

Voilà pour l'aspect formel ; maintenant si l'on s'intéresse à l'aspect énergétique : le massage tantrique n'est pas sensé amener l'homme à l'éjaculation, car c'est une perte d'énergie vitale. Perte qui n'a de sens (=qui ne prend sa juste valeur) que dans une relation sensuelle avec une femme aimée, où l'homme fait don de sa semence à celle-ci et reçoit en retour ses fluides féminins, où le Yin et le Yang s'entremêlent. Devenir un amant tantrique consiste pour l'homme à apprendre à maîtriser son énergie sexuelle, à contenir son désir pour lui permettre de durer davantage, à surfer sur une ligne de crête du plaisir, en restant très proche mais légèrement en deçà de l'état orgasmique ; il peut ainsi donner du plaisir à sa compagne -plusieurs fois s'ils le souhaitent- et choisir d'éjaculer ou non.


Pourquoi choisir de ne pas éjaculer ? Pour garder son énergie vitale, son Jing, précieux trésor énergétique contenu dans les Reins et matérialisé par le sperme, fluide dont la valeur énergétique est très grande ; et dont la fabrication « coûte » énormément à l'homme. Les taoïstes assurent que l'homme vit plus vieux et en meilleure santé s'il sait dominer ses pulsions, retarder le moment de l'éjaculation, d'où cette tradition de l'acte sexuel envisagé comme une joute dans les textes érotiques chinois, où la femme cherche à obtenir la semence de l'homme pour « nourrir ses parties intimes » et où l'homme, sachant la valeur de l'énergie mise en jeu et le fait que l'éjaculation signe la fin provisoire du désir et de la bandaison, diffère cette « petite mort » autant que faire se peut.

Un massage qui n'est pas pratiqué entre amants, se terminant par une éjaculation « dans le vide », représente donc une perte d'énergie vitale dommageable en termes énergétiques car il n'y a pas de connexion entre le Rein (logiciel qui englobe les organes génitaux, lieu de production des fluides permettant la procréation, la transmission de l'énergie vitale) et le Coeur, pompe et moteur du corps, siège des sentiments, logis de l'esprit (Shen). L'absence de lien amoureux, de connexion de Coeur à Coeur, fait de cette « crise de vent » un jaillissement mécanique. Le plaisir sera intense, bref, et la fatigue suivra, l'homme risque de se sentir vidé de son énergie, surtout s'il répète fréquemment ce type de stimulation masturbatoire.

On parle en MTC de l'axe Shao-Yin pour désigner ce lien Rein-Coeur essentiel : l'esprit, l'entendement (Coeur) doit être soutenu par la force vitale, la volonté (Rein)

Il est intéressant de noter que l'oreille est l'organe des sens lié au Rein : lorsque l'énergie vitale, sexuelle, vient à manquer (à cause de l'âge ou d'un comportement dispendieux, d'excès sexuels...), l'audition baisse. D'où l'adage populaire qui dit que la masturbation rend sourd :)



Voilà pour les enseignements du jour:)


Si tu veux bien, j'aimerai me servir d'une partie de ce que tu as écrit, et de cette réponse développée que je t'ai faite pour retranscrire une partie de cet échange sur mon blog. Je pense que cela peut être éclairant pour d'autres.


A une prochaine fois...



Nous avons depuis pratiqué un troisième soin tantrique et celui-ci s'est déroulé de manière très apaisée. Beaucoup plus mûre et sereine. :)




Echange épistolaire autour de la pratique tantrique

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